L’ÉVASION DE LOUIS XVII - PHASE II
« FROTTÉ , ATKYNS, BARRAS, J. DE BEAUHARNAIS, CORMIER,
G. B. DE LA BONNETIERE»
28 JUILLET 1794 – 12 JUIN 1795
*
- Nomination des nouveaux gardiens de Louis XVII au Temple
- Les deux substitutions d’enfants sont attestées
- Maladie et soins donnés à Gonnhaut
- Assassinat des Docteurs Desault, Choppart et Doublet et fuite du Docteur Abeillé
- Le décès de Gonnhaut-Léninger
- Quelques questions et de probables réponses
- Assassinat de l'Impératrice Joséphine
S'étend ici la période de la préparation de l’évasion de Louis XVII du Temple financée par Madame Atkyns (une riche anglaise qui dépensa sa fortune pour essayer de sauver – en vain - la Reine puis –avec succès - Louis XVII), avec le concours du Général Chouan Louis de Frotté, de M. Cormier, ancien Président du Présidial de Rennes et du Banquier Gaspard Barbier de la Bonnetière (qui continuera d’aider financièrement Louis XVII jusqu’en 1823, année du décès de ce bienfaiteur). En ce qui concerne ce dernier, les papiers appartenant à la famille de la Gorce attestent ce financement et bien plus quant à l’aide apportée à Louis XVII après l’évasion dans son errance. Nous tenons à remercier vivement notre ami et soutien, Emmanuel de la Gorce, qui nous a donné de nombreuses informations à ce sujet ; sa famille est alliée aux La Jaille, et La Tour du Pin de la Charce. Cette précision nous sera utile quand nous nous intéresserons au sacre de Louis XVII, à Rome, par Pie VI, en février 1798.
Rappelons ce que nous avons précédemment précisé : la libération de Louis XVII était ardemment voulue d’une part par les Royalistes par idéal monarchique et d’autre part par de nombreux Conventionnels qui cherchaient, chacun pour soi-même, à satisfaire des intérêts particuliers : devenir Régent ou bien se protéger de l’éventuel retour du Comte de Provence au pouvoir et éviter ainsi une condamnation certaine, eu égard à leur passé révolutionnaire.
puis Impératrice des Français ( 1763-1814)
Le Conventionnel Barras, soutenu par Tallien, Fouché et d’autres et surtout par sa maîtresse, Joséphine de Beauharnais, fut l’organisateur de l’évasion du jeune Roi. N’oublions pas que l’argent de Madame Atkins coulait à flot à cette fin mais gardons aussi en mémoire que cette libération était souhaitée par les deux camps que nous venons de décrire pour des motifs tout à fait différents.
Les Comités de Salut Public et de Sûreté Générale avaient déjà nommés le 28 juillet 1794 les dénommés Albert et Jérôme, des Sections respectivement de l’Unité et de Bondy, gardiens de Louis XVII mais, sur proposition de Barras, ces Comités annulèrent les nominations précédentes (déjà signées) et C. Laurent se vit attribuer la place avec des appointements de 6000 livres (Archives Nationales. A.F. 47-363 – Arrêtés nommant les gardiens des enfants de Capet – 10 thermidor an II - 28 juillet 1794).
Cette attention particulière qu’accordait Barras au petit Roi réveilla les soupçons de ses collègues (ils avaient tous les mains tachées de sang : Fouché, Tallien, Bourdon de l’Oise, Prieur de la Marne, Lequino, Dubois-Crance, Fréron, réal, etc….) mais ils se tinrent cois, cependant et devinrent ainsi complices, chacun pensant tirer quelque avantage de cette situation.
Ainsi, Barras plaça-t-il auprès de Louis XVII Christophe Laurent, un Martiniquais, liée à Joséphine de Beauharnais (maîtresse de Barras), dévoué à sa cause, c’est-à-dire à son intention de faire évader le jeune Roi.
Le 9 novembre 1794 (18 brumaire an III) un autre gardien fut placé auprès de Laurent, dénommé Cosmier dont le vrai nom était Gomin, tapissier (à ne pas confondre avec Cormier, l’ancien Conseiller au Présidial de Rennes). Cette nomination intervint après une inspection subite du Temple dans la nuit du 28 octobre 1794 (7 brumaire an III) pour s’assurer si les enfants royaux étaient toujours là et aussi pour surveiller Laurent afin qu’il ne trahît pas au profit des royalistes par un adjoint (des soupçons commençaient à poindre).
C’est ce Gomin que mentionne dans une des lettres de Laurent (ci-après) sous le nom de « Cosmier ».
On ne sait réellement ce qu'il advint de Tardif, les Archives étant muettes à ce sujet. Certains témoignages disent qu'il fut caché pendant un temps dans un comble d'une des quatre petites tours, toujours au Temple et qu'il y mourut (de sa belle mort ?... on a des doutes). On pense que c’est son corps qui fut enterré hâtivement dans le jardin du Temple et retrouvé en 1801 par le Général d’Andigné qui s’occupait de travaux dans ce jardin.
On ne sait pas non plus à quel dessein obéissait Barras par ces changements risqués. Laurent s’en plaint dans ses lettres, citées ci-dessous et dans lesquelles les substitutions sont clairement décrites. (Archives Nationales. F.7 4393 Police générale, Maison du Temple - Etats nominatifs des employés - Ventôse à Messidor an III, Numéros 275-285-elles ont trait aux paragraphes suivants présentant les lettres).
Ces lettres, adressées à « un Général », ont posé le problème du ou de la destinataire. Certains pensent qu’il s’agit d’un code désignant Joséphine de Beauharnais, d’autres qu’il s’agit simplement du Général de Frotté. Toutefois, depuis la découverte, par l’écrivain Frédéric Barbey, en 1905, de la correspondance de Madame Atkyns, précieusement conservée dans le cabinet du notaire de cette dernière, la destinataire semblerait désignée : Madame Atkyns; mais il est patent que celle-ci ne fût qu'une sorte de relais postal des lettres, ces dernières étant tout simplement adressées au Général de Frotté.
- 1° Lettre de Laurent du 7 novembre 1794
Mon Général ,
Votre lettre du 6 courant m'est arrivée trop tard, car votre premier plan a déjà été exécuté, parce qu'il était temps. Demain, un nouveau gardien doit entrer en fonction : c'est un républicain nommé Gommier (Gomin), brave homme, à ce que dit B… (Barras).Mais je n'ai aucune confiance à de pareils gens. Je serai bien embarrassé pour faire passer de quoi vivre à notre P... (Prince); mais j'aurai soin de lui, et vous pouvez être tranquille. Les assassins ont été fourvoyés, et les nouveaux municipaux ne se doutent point que le petit muet a remplacé le D ... (Dauphin).
Maintenant, il s'agit seulement de le faire sortir de cette maudite tour, mais comment ? B (Barras)... m'a dit qu'il ne pouvait rien entreprendre à cause de la surveillance. S'il fallait rester longtemps, je serais inquiet de sa santé, car il y a peu d'air dans son oubliette, où le bon Dieu même ne le trouverait pas, s'Il n'était pas Tout-Puissant. Il m'a promis de mourir plutôt que de se trahir lui-même ; j'ai des raisons pour le croire. Sa sœur ne sait rien, la prudence me force de l'entretenir du petit muet comme s'il était son véritable frère. Cependant, ce malheureux se trouve bien heureux, et il joue, sans le savoir, si bien son rôle, que la nouvelle garde croit parfaitement qu'il ne veut pas parler: ainsi il n’y a pas de dangers.
Renvoyez bientôt le fidèle porteur, car j'ai besoin de votre secours. Suivez le conseil qu’il vous porte de vive voix, car c'est le seul chemin de notre triomphe.
Laur…
Tour du Temple, 7 novembre 1794.
- 2° Lettre de Laurent du 5 février 1795.
«Mon Général,
« Je viens de recevoir votre lettre. Hélas ! Votre demande est impossible ; c’était bien facile de faire monter la victime mais la descendre est actuellement hors de notre puissance ; car la surveillance est si extraordinaire que j’ai cru être trahi. Le Comité de Sûreté Générale avait, comme vous le savez déjà, envoyé les monstres Mathieu et Reverchon, accompagnés de M.H. de la Meuse, pour constater que notre muet est véritablement le fils de Louis XVI ! Que veut dire cette comédie ? Je me perds et je ne sais que penser de la conduite de B (arras).
« Maintenant il prétend faire sortir notre muet et mettre un enfant malade à sa place ! On se donne bien de la peine pour ne pas laisser entrer personne dans la prison de notre muet afin que la substitution ne devienne publique car si quelqu'un examinait bien l’enfant il ne serait pas difficile de comprendre qu'il est sourd de naissance et donc muet. Mais substituer encore un autre enfant à celui-là, l’enfant malade parlera et cela perdra notre demi-sauvé (Louis XVII) et moi avec ; renvoyez le plus tôt possible notre fidèle et votre opinion par écrit ».
Laur…
Tour du Temple, le 5 février 1795
Le 19 décembre 1794 Mathieu, Reverchon et Harmand de la Meuse avaient visité l’enfant substitué. Harmand fit d’ailleurs un rapport éloquent sur l’état de débilité de l’enfant, incapable de parler et entendant à peine, prostré et dans un état d’indifférence émotionnelle absolue.
- 3° Lettre de Laurent du 3 mars 1795
«Mon général,
« Notre muet est heureusement transmis dans le palais du Temple et bien caché. Il restera là et en cas de danger on le prendra pour le Dauphin. A vous seul, mon général, appartient ce triomphe ; ordonnez toujours et je saurais vous obéir. Lasne prendra ma place quand il voudra. Les mesures les plus efficaces et les plus sures sont prises pour la sureté du Dauphin. Conséquemment, je serai chez vous en peu de jours, pour vous dire le reste de vive voix ».
« Laur… »
Tour du Temple le 3 mars 1795
Nous venons de citer les lettres de Laurent qui attestent la double substitution de Louis XVII par deux enfants. C’est un point si essentiel que les anti-survivandistes disent que ces lettres n’ont jamais existé.
Maître Bourbon-Leblanc (fils illégitime du Prince Louis VI de Bourbon-Condé 1756-1830) publia en premier ces lettres en 1835. Celles-ci furent immédiatement contestées par les soutiens du pouvoir en place (Louis-Philipe 1er ). Toutefois, l’existence de la première lettre, celle de novembre 1794, fut confirmée par l’existence prouvée d’une autre lettre, découverte dans la correspondance de Madame Atkyns en 1905. Cette correspondance, intacte et enfouie dans le cabinet du notaire de cette grande bienfaitrice, fut trouvée par l’écrivain Frédéric Barbey (1879-1970). En effet, Madame Atkyns reçut une lettre de M. Cormier, son agent à Paris. Cet ancien Conseiller du Présidial de Rennes, lié au Général de Frotté aussi, écrivit le 31 octobre 1794 ce qui suit :
« Je crois pouvoir vous assurer, vous affirmer positivement, que le Maître et sa propriété sont sauvés indubitablement ne dites mot, le plus grand silence ; point de mouvement de gaîté …Jamais je ne fus plus tranquille »
Après un premier plan qui se fondait sur la substitution d’un enfant au jeune Roi, Madame Atkyns se montra, après réflexion, défavorable à cette stratégie. Pourquoi ? Parce que si l’enfant substitué mourait, tout le monde croirait au décès de Louis XVII. L’avenir lui donna raison car, comme nous le verrons, lorsque le deuxième enfant substitué mourut le 8 juin 1795, ce fut aussi la mort officielle annoncée et crue du jeune Roi. Elle dut écrire sa désapprobation à Laurent car, en fait, la lettre du 7 novembre de ce dernier est une réponse à une précédent missive : « Votre lettre du 6 courant m'est arrivée trop tard, car votre premier plan a déjà été exécuté… ».
Le Général de Frotté informa lui aussi, à la mi-novembre, Madame Atkyns de l’exécution de ce premier plan prévu, ignorant les rétractations de celles-ci :
« Tout est fini, tout est arrangé ; en d’autres mots, je vous donne ma parole que le Roi et la France sont sauvés. Toutes les mesures ont été prises. Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.»
Cette lettre était également incluse dans la correspondance de Madame Atkyns trouvée par Frédéric Barbey.
Les copies qu'avait fait Laurent de ses propres lettres disparurent à la mort de ce dernier. En effet, près une brillante carrière en qualité de Commissaire de la Marine et Secrétaire du Gouverneur de la Guyane Française, le Gouverneur saisit tous ses papiers qu’il enferma dans le bureau du Greffier de la Cour d’Appel de Cayenne. Depuis lors, elle devinrent introuvables. On suppose, à juste titre, d’où est venu l’ordre de destruction !
Cependant, l’usage de l’époque voulait que des copies fussent immédiatement faites par l’auteur d’un papier important et données en sauvegarde car aucune duplication mécanique, électrique… n’existait encore. Louis XVII, lorsqu’il parvint après une errance effroyable en Prusse, en 1810, donna les copies de ces lettres qui étaient incluses dans les 202 papiers, prouvant son identité royale et donnés pour la plupart, au Chef de la Police prussienne, Paul Ludwig Le Coq.
À ce point, début mars 1795, le petit muet, premier enfant substitué était toujours en place (lettre de Laurent ci-dessus).
Mais le 29 mars 1795 C. Laurent quitta le Temple et le 31 il fut remplacé par Etienne Lasne, ex-soldat aux Gardes Françaises, franc-maçon ; ce dernier restait donc auprès de Gomin.
Pourquoi Barras voulait-il une deuxième substitution ainsi que le laisse apparaître la lettre de Laurent du 5 février 1795 ? Par crainte que le silence répété du faux Louis XVII (l’enfant sourd et muet, Tardif) n’éveillât des soupçons ?
En tout cas, dès fin mars 1795 cette deuxième substitution eut lieu comme nous l’avons précisé. Le muet, Tardif, fut caché dans le palais voisin, dans l’enclos du Temple, alors que le nouvel substitué prenait la place officiellement celle de Louis XVII, au deuxième étage de la Tour.
On sait que ce n’était plus le premier enfant car celui-ci parlait, au constat des médecins qui vinrent le soigner et lui parler alors que le premier restait tout le temps silencieux. Cet enfant s’appelait Gonnhaut, extrait de l’Hôtel-Dieu, comme nous l’avons précisé
Toutefois avant celui-ci, un autre enfant « a été promené » dans le Temple mais il n’y resta pas ; il avait une ressemblance frappante avec Louis XVII : c’était Jean-Marie Hervagault (1781-1812). Sa « candidature » ne fut pas retenue peut-être parce que trop extraverti et bavard, il eût pu faire échouer le plan de l’évasion. Ceci explique comment il a pu faire une carrière de faux Dauphin à compter de 1795 à sa mort prématurée à Maison de Force de Bicêtre. Nous savons cela grâce aux Archives Nationales (A.N F.7.6312-Dossier Hervagault.)
En conséquence, la courte visite d’Hergavault au Temple (un jour-cf. A.N.) céda la place à Gonnhaut qui fut substitué à Tardif et donc à Louis XVII, de mars au 8 juin 1795, jour de son décès.
Un troisième enfant fut certainement caché aussi ; aucune pièce d’archive ne l’atteste mais, comme nous le verrons, en mars 1794, lorsque la veuve Simon déménagea du Temple, entra en jeu la présence d’un garçon que l’on fit sortir, couvert de linge, dans la charrette de déménagement. C’est ce qui fit dire ou penser que Louis XVII s’évada en mars 1794 du Temple. Or en mars 1794 le jeune Roi était encore dans sa prison, car fin août de la même année, le docteur Desault visita celui-ci et reconnut bien en lui le fils de Louis XVI qu'il avait auparavant soigné à Versailles et aux Tuileries.
En avril 1795, la Convention paniqua et fit rechercher Louis XVII « sur toutes les routes du pays »
Une partie de la Convention savait que les clauses secrètes du Traité de la Jaunais – que l’on a mentionnées – exigeaient la libération des enfants de Louis XVI. Cette exigence avait-elle filtré auprès de la partie dure de cette Assemblée, les Jacobins ?
En mars 1795, Louis XVII avait été substitué par l’enfant Gonnhaut. Y a-t-il eu des rumeurs ou autres signes délateurs au sein de la forteresse ? Quoi qu’il en fût, la Convention crut à l’évasion du jeune Roi et prit un décret le 5 Floréal an III (24 avril 1795) ordonnant de « rechercher le fils Capet sur toutes les routes de France ».
Ce décret n’a jamais été retrouvé dans les Archives Nationales de France mais il a été vu dans les Archives allemandes, celles provenant de la ville de Coblenz où le Comte de Provence séjourna un certain temps après son départ de France le 19 juin 1791. Ce décret – l’original- lui fut-il envoyé, pour l’avertir, par un Conventionnel ou simplement par un des multiples gratte-papier royalistes travaillant dans les bureaux de la Convention ? Nous savons que ce papier a existé ; mais on ne le trouva plus après jusqu’à maintenant…
En avril 1795, Louis XVII était toujours Temple.
En mai 1795, l’état de santé de Gonnhaut s’aggrava.
Ses gardiens, Gomin et Lasne, alertèrent le Comité de Sûreté générale qui désigna, par arrêt » du 6 mai 1795 (17 floreal, an III), le Docteur Pierre-Joseph Desault, comme médecin devant le soigner. Celui-ci avait déjà soigné à Versailles le premier Dauphin, Louis-Joseph, décédé le 4 juin 1789, puis aux Tuileries où il soigna le futur Louis XVII; en août 1794, après la chute de Robespierre et la nomination de Barras comme responsable de l’enfant royal, il fut appelé pour visiter ce dernier au Temple.
La visite du Docteur Desault était toute naturelle. Par conséquent, notons ceci : le médecin connaissait très bien Louis XVII, précédemment rencontré à Versailles quand il soigna son frère aîné, puis aux Tuileries et enfin au Temple.
Il visita donc l’enfant malade (Gonnhaut) le 7 mai 1795 mais dit à sa femme, en rentrant chez lui : « ils ont changé l’enfant ». (Témoignage de la nièce par alliance du Docteur Desault). Il le soigna, en bon médecin, en s’adjoignant les services des Docteurs Choppart, Doublet et Abeillé. Le Docteur Desault ne reconnut pas Louis XVII dans l’enfant qu’on lui avait présenté.
Le 30 mai 1795 eut lieu la dernière visite du Docteur Desault à l’enfant malade. Le lendemain, le 31 mai 1795 au soir, il se rendit au Comité de Sûreté Générale et fit un rapport dans lequel il précisait que Louis XVII avait été substitué par l’enfant qu’il venait de soigner et qui avait été empoisonné.
Les membres du Comité firent semblant de bien accueillir sa démarche et l’invitèrent à souper. A la suite de ce repas il fut pris de convulsions chez lui et mourut dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1795.
Ce fameux rapport, numéroté 263, en date du 31 mai 1795 disparut immédiatement… Alors, comment sait-on qu’il a existé et quel numéro lui fut attribué ? Tout simplement par le numéro et la date d'enregistrement du dépôt du dossier que fit le fonctionnaire du Comité de Sûreté Générale chargé de cette tâche… (Archives Nationales - Cartons A.F.II-n°s 276, 277 et 300 - Registres de la correspondance et documents du Comité de Sûreté Générale).
Pour éviter d’éveiller des soupçons quant à ce décès subit, le Conventionnel Seveste fit dater le décès du Docteur Desault du 4 juin 1795 et non du 1er…
Les Docteurs Doublet et Choppart subirent quelques jours après le même sort : respectivement le 5 juin et le 9 juin 1795. Voyant cela le Docteur Abeillé fuit en Amérique. Il laissa un témoignage que nous produirons dans un autre chapitre ; mais notons déjà que la revue The American Bee rapporta ses propos :
« j’ai quitté la France car je ne voulais pas mourir comme mes confères Desault, Choppart et Doublet ».
Comment savons-nous que le Docteur Desault avait précisé au Comité de Sûreté Générale son diagnostic d’empoisonnement ? Par le témoignage que lui fit 22 ans plus tard un médecin, le Docteur Estier, son ami, le Docteur Abeillé, qui s’était confié bien après sa fuite en Amérique. Abeillé et ses confrères surent le contenu du rapport déposé par leur confrère Desault ; ils avaient aussi conclus à ce diagnostic fatal. Nous présenterons dans les lignes qui suivent ce témoignage.
Nous avons connaissance de l’assassinat du Docteur Desault grâce notamment (car il eut d’autres témoignages : Bichat, élève du Dr Desault, le Dr Valentin, etc.) à la famille du médecin. En effet, sa nièce par alliance, la veuve Agathe Calmet-Thouvenin, fit à ce sujet une déposition signée sous serment :
« Je soussignée, Agathe Calmet, veuve de Pierre-Alexis Thouvenin, déclare que, du vivant de M. Thouvenin, mon mari, neveu de M. le docteur Desault, ma tante, me raconter que son mari le Docteur Desault fut appelé pour visiter «l'enfant Capet ». Lorsque le docteur fit sa visite au malade, qui était au Temple, on lui présenta un enfant qu'il ne reconnut pas pour être le Dauphin Louis XVII, qu'il avait vu quelquefois avant son arrestation de la famille Royale aux Tuileries. Il a dit ce jour-là à ma tante : « ils ont changé l’enfant ». Après avoir fait quelques recherches pour tâcher de découvrir ce que pouvait être devenu le fils de Louis XVI, un dîner lui fut offert par les conventionnels…. En rentrant chez lui, il fut pris de violents vomissements, à la suite desquels il cessa de vivre ; ce qui laissa croire qu'il avait été empoissonné. »
On apprit qu’en 1817, une note de police fut adressée au Ministre de Louis XVIII, le Comte Decazes, précisant qu’un des neveux (sans doute le jeune Thouvenin) du Docteur Desault colportait le fait que son oncle avait déposé aux Archives de l’Ecole de Médecine un rapport spécifiant que l’enfant qu’il avait soigné en mai 1795 au Temple n’était pas le Dauphin.
En outre, le Docteur Estier, résidant à Londres et ami du docteur Abeillé, laissa aussi un témoignage officiel :
« Je soussigné, déclare que j'ai fait, en 1830, la connaissance du docteur Abeillé, ancien élevé du docteur Desault, que ledit docteur Abeillé m'a assuré plusieurs fois que le Dauphin n'était pas mort au Temple, mais qu'on lui avait substitué un autre enfant ; que cet enfant ayant été empoissonné, on fit venir pour le soigner le docteur Desault qui, ne reconnaissant pas dans cet enfant le Duc de Normandie eut l'imprudence de communiquer ses soupçons à un de ses amis. Le lendemain même de cette communication, le docteur Desault est mort empoissonné.»
Le docteur Abeillé, craignant pour ses propres jours, a quitté la France sur le champ pour aller habiter les États-Unis. La revue The American Bee mentionne cette déclaration dans un article publié en 1817. M Hanson la certifie également.
Enfin, Jacques Boillaut, ancien valet de pied de Louis XVIII, fit également une déposition :
« Je suis prêt à déposer en justice et sous la foi du serment le fait que voici : M. Desault était mon ami et le médecin de ma femme ; j'ai su, à n'en pouvoir douter, par M. Desault, que le fils de Louis XVI avait été sauvé au Temple. Mme Desault ne m'a point caché non plus que son mari était mort empoissonné… que cet empoissonnent suivit de près la déclaration que fit Desault au Comité de Sûreté Générale du changement qui s'était opéré dans le prisonnier confié à ses soins. »
Du 1er au 5 juin 1795, les gardiens de l’enfant malade, Gomin et Lasne, constatèrent une aggravation de la « maladie ».
Le 5 juin, le Dr Pelletan fut dépêché pour le soigner.
En une réunion secrète du 6 juin 1795 il fut question de la remise de Louis XVII aux Vendéens, selon les accords annexes et confidentiels du Traité de la Jaunais. Étaient présents Sieyès, Cambacérès et Tallien. Barras, bien évidemment, était du secret. De fait, la date du 15 juin 1795 approchait et il fallait mettre au point un procédé qui ne risquait pas de porter préjudice à ces Conventionnels. Ce fut ainsi que la mort de Gonnhaut-Léninger, le deuxième enfant substitué, fut résolue courant mai pour masquer l’enlèvement simultané du jeune Roi.
Une seule et terrible solution s’imposait... Le Docteur Sigault, du parti des Révolutionnaires, se rendit à la prison avec du poison. Un poison destiné non pas à Louis XVII mais à Gonnhaut. Cependant, on ne dit pas au Docteur Sigault que l’enfant à assassiner était un substitué et non le jeune Roi.
Fabre d'Olivet, écrivain, philologue et occultiste français de cette époque, partagea un certain temps les idées révolutionnaires mais il déchanta vite et se sépara des Jacobins. Il raconta dans « Mes souvenirs » (« Mes souvenirs » de Fabre d’Olivet – Éditions Belisane – Nice - 1977 ») ce qui suit.
Un jour, alors qu’il se promenait dans le jardin des Tuileries avec son ami le Docteur Sigault- Révolutionnaire fanatique, qui avait été nommé par sa Section membre de la Commune insurrectionnelle du Dix Août - il croisa Madame de Limay qui revenait du Bureau du Directeur de la Police.
Il s'arrêta pour parler quelques instants avec elle tandis que le Docteur Sigault, visiblement gêné par la présence de cette femme, continuait de marcher. Madame de Limay lui demanda, interloquée:
- Comment pouvez-vous fréquenter un tel monstre ?
- Ce monstre ? répondit Fabre, le Docteur Sigault ?. Qu'est-ce que vous me dites là ?. Mais, c'est mon ami d'enfance. Il y a huit jours que je l'ai revu après des années de séparation.
- Allons, je vois que vous ne savez rien répliqua Madame de Limay, eh bien, apprenez une chose. C'est lui qui a empoisonné le Dauphin!
Quand la dame partit, il rattrapa Sigault et lui dit :
On m'a dit que tu avais empoisonné le Dauphin. Est-ce que c'est vrai ?
Sigault reculait avec horreur. Puis, il répondit :
-Mon ami, écoute-moi bien, et retiens bien ceci je n'étais pas seul, le moment était terrible, et nous avons fait notre devoir ».
Sigault ne connaissait pas Louis XVII ; dans son âme et conscience, en bon révolutionnaire, il venait de rendre un service à la Patrie, il avait fait « son devoir ».
Le 7 juin, le Docteur Pelletan ausculta l'enfant et sembla satisfait de son état de santé. Il demanda cependant au Gouvernement qu'un médecin généraliste soit choisi pour travailler avec étant lui donné qu'il était chirurgien. Cependant, on lui fit « prendre des médicaments qu’il avala avec beaucoup de peine » (« Mémoires » de Marie-Thérèse Charlotte. p. 173) : l’état du malade s’aggrava.
Pourquoi choisir des médecins autres que ceux qui avaient si bien soigné au temple Louis XVII, comme le Docteur Thierry, médecin officiel de la prison, qui était toujours de service à ce titre. Mais soudain, on ne le laissa plus voir le garçon, pas même pour l'identification post mortem ou l'autopsie. Le Docteur Soupé, également médecin de la prison, fut traité de la même façon.
Dans la nuit du 7 au 8 juin, l’état de l’enfant s’aggrava. Ses gardiens, Gomin et Lasne, alertèrent Le Docteur Pelletan et le Comité de Sûreté Générale. Pelletan repoussa sa visite au lendemain matin.
Le 8 juin, le Docteur Pelletan fut vite requis, accompagné du Docteur Dumangin par le Comité de Sûreté générale qui lui avait recommandé par écrit
« le plus grand secret car c’est le cas pour ne rien négliger, pour éviter les imprudences même les plus légères ».
Archives Nationales - cote B.B. 30-964- 3ème liasse.
Voici une phrase bien significative… Pourquoi ce « grand secret » et quelles « imprudences » faut-il « éviter » ?
Le Docteur Sigault avait répondu à Fabre d’Olivet « je n’étais pas le seul »… Le Docteur Pelletan, qui avait ses entrées, officiellement permises, au Temple, en ces jours précis… Nous ne sommes pas loin de le soupçonner de complicité de meurtre…
Ils vinrent effectivement vers 11 heures. Gonnhaut montrait tous les symptômes de l’empoisonnement à la digitale : vomissements constants chargés de bile, urgences pour aller aux toilettes, sueurs froides, pouls faible, aucun son ne pouvait sortir de sa bouche si ce n’est un râle. Un médicament arriva vers 14 heures.
Lasne et le Commissaire du jour, Damont, en service depuis midi, étaient dans la chambre. L'enfant fit signe qu'il voulait aller aux toilettes. Lasne le prit dans ses bras pour l'y porter. C'est alors que l'enfant mourut vers 15 heures.
Le Comité de Sûreté Général envoya à ce-même moment une infirmière : « Le 20 prairial an trois (selon le nouveau calendrier en vigueur pendant la Révolution), Houdeyer (secrétaire du Comité) salue fraternellement le citoyen Pelletan et lui donne par la présente l'autorisation du Comité d'engager une infirmière pour le Temple. »
Pourquoi ce secret ?... C’est Madame Royale qui donna cette précision :
« on lui fit prendre des médicaments… et il expira sans agonie »
Mémoires de Marie-Thérèse de France – Éd. Mercure de France- p. 173.
elle n’avait pas vu son frère depuis très longtemps et elle le croyait malade ; on lui rapporta cette mort bien plus tard et on lui dit que des médicaments lui furent donnés et elle crut, de bonne foi, qu’il s’agissait de son frère. D’ailleurs on ne la laissa pas voir le cadavre, et pour cause !
Au décès de l’enfant, ses gardiens, Gomin et Lasne, ne prévinrent pas Madame Royale (qui vivait à l’étage supérieur) comme nous venons de le préciser. lls enfermèrent dans une chambre voisine Gourlet, employé du Temple, qui, inopinément, vint à passer par là pour qu’il ne gênât pas (pourquoi et en quoi aurait pu-t-il gêner si ce n’est parce que quelque chose se tramait ?). Gomin alla rendre compte de l’événement au Comité de Sûreté Générale tandis que Lasne resta près de l’enfant mort tout en faisant croire qu’il était vivant ; il ordonna à ce que qu’on allât chercher un bouillon
pour écarter « tout soubson », ainsi qu’il l’écrivit – avec un « b » - dans sa déposition.
Archives Nationales. B.B.30-964 – Registre du Temple, page 57
Soupçon de quoi ? Si ce n’est de la substitution (et de l’empoisonnement) et que le véritable Louis XVII était bien vivant.
- Pourquoi les quelques membres du Comité de Sûreté Générale, qui reçurent le rapport du Docteur Desault, au soir du 31 mai 1795, (lequel précisait, répétons-le, que l’enfant soigné n’était pas Louis XVII et que de plus il avait été empoisonné), n’ordonnèrent-ils pas, en criant à la forfaiture, une perquisition immédiate de la forteresse, à la recherche de la cachette de Louis XVII et aussi des empoisonneurs afin de connaître les intentions motivant leur geste et d’enfermer donc plus rigoureusement l’enfant Roi ? Ceci signifie aussi que les membres de ce Comité, peu nombreux certainement, présents ce soir-là, étaient tous complices du projet d’évasion. Et pour ce faire, ils avaient été choisis par le puissant Barras, Président depuis décembre 1794 de ce même Comité, qui se fit nommer (très intentionnellement !), ne l’oublions pas, dès le lendemain de l’exécution de Robespierre (28 juillet 1794) « administrateur du Temple » ;
- Pourquoi, enfin, ces membres du Comité de Sûreté Générale assassinèrent-ils le Docteur Desault et quelques jours après les Docteurs Choppart et Doublet (qui connaissaient la substitution et l’empoisonnement) alors qu’ils auraient dû, au contraire, les féliciter de la découverte de ce subterfuge et de cette mort donnée et de clamer ceci haut et fort ? Manifestement, ce fut pour les empêcher de révéler la substitution et implicitement le projet d’évasion.
- Autre point délicat : quelle fut la participation du Docteur Pelletan à l’empoisonnement de Gonnhaut-Léninger, perpétré par le Docteur Sigault ? Ce dernier avait bien dit à Fabre, comme nous venons de le lire : « Je n'étais pas seul, le moment était terrible, et nous avons fait notre devoir »…Quel autre médecin a-t-il pu se rendre complice de ce meurtre ? Peut-être que nous trouverons un jour des archives permettant d’éclaircir ce point.
Joséphine paya de sa vie la connaissance, qu’elle avait (et pour cause !) de la survivance de Louis XVII. Elle s’en confia au Tsar Alexandre 1er qui lui rendit visite en son château de La Malmaison le 23 mai 1814, précisant qu’elle était prête à divulguer l’existence du jeune Roi.
Le Tsar rapporta sa conversation avec elle à Talleyrand. Ce dernier lui assura qu’il avait la situation bien en mains, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucun risque que le retour des Bourbons en la personne du Comte de Provence pût être empêché. Six jours plus tard, le 29 mai, elle mourut empoisonnée. Quand le Tsar l’apprit, il s’exclama : « Ça, c’est un coup de Talleyrand ! ».
« Cette fin prématurée (la mort de Joséphine) qui ne semble pas naturelle donne carrière à des soupçons les plus fâcheux et on ne se gêne pas pour dire que l’Impératrice avait su tant de choses autrefois, qu’elle était devenue gênante.
On ajoute même qu’elle aurait pu faire sur certain personnage auquel elle s’était intéressée au temps de Barras des révélations qui n’eussent pas été de saison »
Souvenirs du Lieutenant Général, vicomte de Rezet ,19 mai 1814
La suite est étudiée dans la Rubrique « PHASE III – ENLÈVEMENT DE LOUIS XVII DANS LA SOIRÉE DU 12 JUIN 1795 ».